Histoire(s) de moulins

"A la recherche de Maître Cornille" par François Texier

A - La place des meuniers dans ma généalogie

Mon arrière grand père Victor Frédéric Texier était meunier ainsi que son frère Auguste.
Mon grand père Georges Texier transorme le moulin de Manne en moulin à électricité en 1903.
Dans ma commune Puteaux, il existe un moulin à vent : le moulin de Chantecoq.

Tous ces faits m'ont incité à me documenter sur les meuniers et leurs moulins.


1. Généalogies partielles des familles Texier et Delepoulle

arbre descendance Texier
arbre descendance Delepoulle



2. Extraits des mémoires rédigées par mon arrière grand mère, dite grand-mère Camille, née Clémentine Couillard, veuve de Victor Frédéric Texier, meunier. Journal retrouvé dans les papiers de famille.
Photo Clémentine Couillard "Périers, le 11 Mars 1935

Mes enfants, mes petits enfants, mes arrières petits enfants.
Sur ce cahier, je vais écrire le récit de mon existence.

Aujourd’hui, je suis arrivée à un âge très avancé (86 ans) et dans mon existence j’ai eu bien des moments heureux, des passes de félicité et de bonheur... mais aussi de grandes tristesses et de très grands chagrins.
Lorsque je suis née, le 30 Mars 1849, j’étais à peine entrée dans le monde que j’ai éternué et le Docteur Le Roy des Barres m’a fait le souhait suivant : « Mademoiselle, que Dieu vous bénisse » et ma mère de dire «Ah, c’est, une fille»...
... Cette année de 1869 marque, pour moi, la fin de mon existence de jeune fille à la moitié de l’année et commence alors ma vie de femme. 

... On causait d’un futur voyage, mais par une personne de connaissance il y eut une demande en mariage. Ce n’était pas la première, mais cette fois elle eut une suite et le 7 août j’épousais M. Frédéric Texier, meunier dans Saint Denis, au moulin Choiseul. Le mariage eut lieu à Saint Denis de l’Estrée, à midi, au milieu d’une grande affluence de monde, car mon père M. Couillard, était très connu. C’était lui qui avait fondé et organisé la société de chorale des enfants de Saint Denis et il conduisait aussi la musique municipale de la ville. Ces deux sociétés ont voulu me faire l’honneur d’une messe en musique et la cérémonie n’a pas manqué de beauté.
... Année 1870... .La Guerre.
Comme défense, pour tout le côté est de Saint Denis, il y avait des fortifications qui allaient du fort de la Briche à Saint Denis, passant par la double couronne du Nord, rejoindre le fort de l’Est, autrement dit le fort d’Aubervilliers. Ces fortifications étaient aménagées pour laisser entrer en ville les rivières du Groult, le Rouillon et la Vieille Mère et ces entrées étaient munies de travaux permettant de les obstruer complètement et , par ce fait, les rivières n’ayant plus d’écoulement pouvaient se répandre dans la plaine et la noyer. Ce qui arriva.
Au sortir de la ville, la route de Gonesse longe une assez vaste étendue de terres basses, cela s’étend sous la Courneuve et les rivières ainsi bouchées emplirent cette vaste étendue et en firent un immense lac. Les prussiens restèrent dans Stains, mais ne purent jamais aborder le côté  Est de la ville. Mon mari, qui était garde nationale, alla monter la garde sur les fortifications, mais il n’a jamais vu les ennemis. Les moulins de Saint Denis étaient  complètement à sec ; comme on n’avait ni eau ni blé le moulin était silencieux.
... Voici 1871. Qu’est-ce que cette nouvelle année va apporter, les affaires vont mal à Paris. Les prussiens ont entièrement clos toutes les issues et ils vont bombarder la ville. Leurs batteries sont installées dans Stains, puis sur les hauteurs de Pierrefitte. Saint Denis résiste et détruit le château de Stains qui appartenait alors à Mme de Vatry (maîtresse de l’ex roi Jérôme). Jusqu’au 28 Janvier c’est la ruine de la ville, il entre deux obus dans notre maison du cours Benoît. Mon grand père Millat est descendu dans les caves, notre maison en avait de très belles et les locataires qui étaient restés purent s’y réfugier. Dans ces jours de bombardement, le moulin Choiseul reçut aussi deux obus, un qui détruisit une partie du toit et un autre qui entra au quatrième étage sans éclater mais qui vint taper dans l’arbre montant situé au milieu de moulin. Mon mari et M. Leliévre, qui étaient au rez-de-chaussée, n’entendant pas exploser pensèrent aller voir ce qui était arrivé. Mon mari gravit à la hâte les quatre étages et trouva l’obus tranquillement arrêté au milieu des planches qu’il avait labourées. Il le ramassa avec beaucoup de précaution et le descendit dans la cour. C’était un petit engin d’environ 30 cm. de long, gros comme une bouteille et dont le percuteur était parti, ayant du se casser sans éclater.
Deux jours après c’était l’armistice et la guerre était finie. Les prussiens sont entrés en ville mais ils n’ont jamais touché Paris. Une fois les portes ouvertes ...
... Au commencement de septembre, au fur et à mesure que les derniers soldats passaient devant les maisons, toutes les fenêtres se pavoisaient et du haut du chargeoir de notre moulin nous déroulâmes un immense oriflamme qui touchait jusqu’au premier étage. La guerre était finie et on recommençait une vie nouvelle. Le moulin fut encore plus d’un mois sans tourner, il fallait déboucher les fortifications qui retenaient les eaux des rivières qui avaient noyé la plaine sur le côté est de la ville.
... Jusqu’à cette époque, septembre 1871, ... mais comme les parents de mon mari étaient tous meuniers, (Les Lefévre, les Hennequin, les Bonnemain), leurs rapports à la halle aux grains et aussi avec tous les gros fermiers, cultivateurs de Seine et Oise, faisaient faire connaissance; Les Hennequin de Gonesse nous invitèrent souvent à aller, avec les Leliévre, passer un dimanche chez eux.
Que vous dire des années qui suivirent : 1872, 1873, ...
M.Leliévre, notre propriétaire, avait un fils aîné qui désirait s’établir meunier et M. Leliévre proposa à mon mari de lui résilier son bail (il restait peu à courir) et cette proposition fut acceptée par nous.
Nous espérions pouvoir reprendre un moulin plus fort et y faire plus d’affaires. Mes parents avaient chez eux, cours Benoît, un logement libre et au 1er juillet 1875 on quitta le moulin Choiseul et on fit transporter nos meubles cours Benoît. On se mit en quête d’un nouvel établissement. ...
... L’année 1875 se termine et nous entendons parler d’un grand moulin, dans les environs de Pontoise, à louer pour finir un bail d’encore cinq ou six ans.
Nous voici en 1876. Nous allons en janvier visiter le moulin qui était situé à Rhus, commune d’Epiais, en Seine et Oise et à douze kilomètres de Pontoise. L’endroit, la situation et aussi le moulin nous plurent et les pourparlers de la location s’engagèrent. Il y avait encore 5 ans ½ à finir pour le bail en cours et nous nous réservions la faculté de renouveler ou bien de partir.

Le 6 mars suivant, le déménageur prenait nos meubles, nous quittions Saint Denis et en route pour le moulin de Rhus. ... Mon petit garçon Georges allait avoir 2 ans au 2 juillet et j’avais gardé sa nourrice comme bonne. J’étais donc tranquille avec mon enfant. Mon fils Adrien était chez mes parents depuis le naissance de Georges et je ne l’avais pas du tout à Rhus.
Les cousins Leliévre avaient eu le chagrin de perdre de la fièvre typhoïde leur fils aîné, celui-là même qui devait occuper notre moulin de Saint Denis. Fatalité....

Les Cousins Hennequin (M. était le frère de Mme Leliévre), qui avait le moulin de Gonesse ... l’aînée, Cécile, devait se marier très prochainement avec M. Arthur Morel dont les parents étaient meuniers à Valmondois, près de Pontoise... On était environ une centaine d’invités. Les parents étant tous meuniers avaient  beaucoup de relations dans la grande culture. ...
L’hiver de 1879 fut excessivement rigoureux.
... revenus à Rhus, comme nous n’avions plus qu’une année de bail à courir, mon mari demanda à notre propriétaire M. Bachelier de Pontoise, à acheter le moulin, nous désirions y adjoindre une boulangerie pour livrer du pain dans la campagne très isolée des fournisseurs. Mais on ne s’accorda pas pour le prix et on décida de ne pas renouveler. On verrait ensuite. Ayant l’intention de quitter en octobre 1881, on ralentit les affaires. ... Le 1er octobre 1881,... remet la clef au propriétaire.
1882 - Je rappellerai qu’en 1875, mon beau frère Auguste Texier qui était seul dans son moulin de Saint Denis, quitterait son moulin et se retirerait des affaires. La fin du bail était pour le 1er juillet 1886 . ...
1883 - En juin, le 6, mon mari toujours bien avec son frère qu’il aimait beaucoup, s’en fut à Saint Denis pour y passer trois jours et lui rendre service de mener une équipe de cureurs. Les meuniers avaient la charge, tous les ans, de faire le curage de la rivière qui alimentait les moulins ; celui de mon beau frère avait une grande longueur de rives et de voûtes. Il fallait travailler avec les cureurs. Sale besogne et  mal odorante. Il  faisait une très grande chaleur et le séjour sous les voûtes, en courant d’air très frais, avait enrhumé mon mari, si bien qu’à son retour à Stains il était souffrant. De plus à cette époque il y avait beaucoup de fièvres typhoïdes et mon mari en fut atteint. Il fut malade pendant tout le mois de juillet et ne se releva qu’à la fin du mois.
Comme j’étais près de faire mes couches, je fus extrêmement fatiguée par les soins que je lui donnais et le 13 août je mis au monde ma dernière fille, Marguerite, mais à la fin du mois d’avril 1884, elle fut prise de méningite et je la perdis le 30 du mois, elle avait huit mois ½.
Mon mari, toujours souffrant de cette bronchite prise à Saint Denis et aussi des suites de la typhoïde, avait décidé que nous irions l’été à Périers, espérant beaucoup dans le changement d’air pour sa santé. Aucune amélioration ne se produisit et le 14 août nous étions de retour à Stains. Le mal, malgré tous les soins possibles, s‘aggravait toujours et le 13 décembre 1884, je le perdais. Il avait eu 40 ans le 16 Juillet 1884. ...
Je restais donc veuve après quinze ans de ménage, j’avais quatre enfants vivants, Adrien et Georges qui étaient au Lycée de Coutances et avec moi, ma fille Camille et mon petit Maurice....
... Aujourd’hui, 7 mai 1935, je vais clore ce long récit. Il y a bien des choses que je n’ai pas relatées, mais mes enfants qui ont toujours vécu dans mon entourage et dont la grande concorde entre tous a toujours régné entre eux , se rappelleront mutuellement les faits ou les circonstances omises et toute mon existence leur apparaîtra claire et nette."