Au fil de la presse...

Le Petit Journal (1863-1944)

Vingette Le Petit Journal

Année 1869 (documents retranscrits et transmis par François Texier)

N° 02329 du mardi 18 mai 1869 : Rosière de Nanterre

L'institution fondée en 535 à Salency par Saint Médard, Evêque de Noyon, compte une apothéose de plus.
Mlle Pauline-Camille Dubois a été couronnée rosière hier après-midi, à 2 heures, aux acclamations d’une foule nombreuse, au bruit des fanfares et des détonations d’artillerie, en présence de M. Gérard, sous-préfet de Saint-Denis, de devant le clergé, le conseil municipal, la garde nationale de Puteaux et MM. les pompiers de Nanterre.
Nanterre a l’heureuse chance d’être célèbre à trois titres.
Elle a donné le jour à Sainte Geneviève, patronne de Paris.
Elle produit des rosières.
Elle a une spécialité de gâteaux très-estimés.

En voilà plus qu’il n’en faudrait pour illustrer une ville plus importante, qui n’aurait pas, avec cela, des pompiers désormais aussi célèbres que les mousquetaires du roi Louis XIII.
La légende de Sainte Geneviève est des plus touchantes. Elle est aussi populaire que celle du roi Arthur en Angleterre, celle du Cid en Espagne, celle des Nibelungen en Allemagne.
Geneviève était une simple bergère, qui vivait au commencement du cinquième siècle. Son père se nommait Sévère, sa mère Gérence.
La tradition raconte qu’elle avait sept ans, lorsque Saint-Germain-d ’Auxerre et Saint-Loup-de-Troyes, qui allaient combattre l’hérésie de Pélage, dans la Grande-Bretagne, passèrent par Nanterre. L’enfant alla à eux et leur déclara l’intention de se vouer au célibat. Elle tint parole jusqu’à sa mort, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
C’est en mémoire de Sainte Geneviève que Nanterre est restée fidèle à la pratique du couronnement de la rosière.

Depuis Louis XIII, qui a ajouté la dot à la rose symbolique, le cérémonial du couronnement des rosières n’a guère changé.
Dans les premières années de ce siècle, quand certaines communes rétablirent la fête supprimée par la Révolution, on imposait aux rosières l’obligation de faire choix d’un mari qui eût servi dans les armées françaises. La dot était à ce prix. Le mariage devait se faire dans l’année. Le couronnement tenait lieu de fiançailles.

Le parlement de Paris a eu longtemps sa rosière attitrée, officielle.
La Rosière du parlement remplissait des fonctions qui ne se trouvent plus guère représentées que par la bouquetière du Jockey-Club. C’était elle qui fournissait les roses à cette cour suprême de justice.
Ce n’était pas une médiocre fourniture. Suivant un ancien usage qui parait s’être établi vers la fin du quatorzième siècle, les pairs de France, devaient, trois fois par an, présenter en grande cérémonie une corbeille de roses aux membres de ce parlement.
Le duc d’Alençon, fils de Henri II, se soumit à cette coutume. En 1586, le roi de Navarre, depuis roi de France, rendit également cet hommage, mais il fut le dernier.
Les troubles de la Ligue ayant interrompu les fonctions du Parlement et obligé de la transférer à Tours, on ne songea plus à la cérémonie des roses, et elle s’abolit.
La rose était un symbole du droit de justice, non seulement en France, mais aussi en Angleterre.
Dès le matin, hier, tous les trains de la ligne Saint-Germain, faisant arrêt à Nanterre, déversaient dans cette petite ville des curieux par milliers. Les rues étaient littéralement encombrées. On s’y bousculait, ce qui dans la vie ordinaire de e semblerai invraisemblable Nanterre.
Vers deux heures, devant la mairie, toute papillotante de drapeaux, un cortège s’est formé, composé de deux adjoints au maire, MM. Bourgoin et Sabrou, précédant le conseil municipal, escorté par la garde nationale et les pompiers, pour aller place de la Boule-Royale chercher la Rosière. C’est là que Mlle. Dubois habite avec ses parents.
Elle attendait, comme bien on pense, et est sortie aussitôt accompagnée de sa sœur, et de Mlle. Delahaye, la rosière de l’an dernier.
Toutes trois étaient de blanc vêtus. Mlle. Dubois est assez grande, et sa physionomie, malgré le hâle qui l’a bronzée, ne manque pas de charme. Elle est plutôt jolie, moins pourtant que sa sœur.
Devant elle , dans le cortège qui s’est reformé, marchait un ravissant état-major de petites filles toutes vêtus de blanc, avec des écharpes bleues et des bouquets blancs, précédées par une adorable petite fille, Marie-Louise Dardare, portant le costume et les attributs de Sainte Geneviève. Ce délicieux bébé blond était à croquer, avec sa grande coiffe blanche, sa houlette et ses petits sabots.
De la mairie, la Rosière a été conduit à l’église par M. Gérard, sous-préfet de Saint-Denis et M. Carthery, maire de Nanterre.
Sur une estrade élevée, sous un dais tendu d’une étoffe blanche historiée de bleu, attendait Mme. Guérin, la marraine, une femme d’une rare beauté, soit dit en passant.
Après avoir été présentée au curé, M. l’abbé Caron, la rosière est allée prendre place à la droite de sa marraine, tandis qu’à sa gauche s’asseyait la rosière sortante, l’état-major de jeunes filles avec la Sainte Geneviève en sabot garnissait toute l’estrade par devant.
Après une allocution de M. le curé sur « Fidélité au devoir », le couronnement a eu lieu. Au moment où Mme. Guérin posait sur la tête de la rosière, agenouillée devant elle, la couronne symbolique de roses blanches, Mlle Delahaye, la rosière sortante, a ôté sa, couronne à elle et l’a passée à son bras.
Tout cela s’est fait avec une simplicité touchante, sans apparat, sans exagération de mise en scène, mais la scène impressionnait réellement.
La rosière couronnée, Mme. Guérin l’a ornée des bijoux que la marraine, d’ordinaire, ajoute à la dot une chaine, une montre, des pendants d’oreille et une broche en or. Cette année il y a eu, un magnifique livre d’heures pour la rosière sortante et une paire de boucle d’oreilles pour Mlle. Dubois, cadette.
Cela fait, le cortège s’est formé pour reconduire la rosière à la maison de ses parents. Aussitôt après, ont commencé les fêtes populaires, données, dit le programme, "  avec le concours de la musique du 37° bataillon de la garde nationale", sur place et sous le bel ombrage des boulevards.
Elles ont été très brillantes, la musique a eu un très grand succès.
Le soir il y a eu grand bal, et si la pluie n’était intervenue, il y aurait eu, sans aucun doute, toujours conformément au programme, « de brillantes illuminations ».


Paul JOUBERT