Au fil de la presse...

Le Petit Journal (1863-1944)

Vingette Le Petit Journal

Année 1874 (documents retranscrits et transmis par François Texier)

N° 04310 du mercredi 10 octobre 1874 : La première rosière de Puteaux

Nous recevons la lettre suivante :
Puteaux, 11 octobre 1874
Monsieur le Directeur,
J’ai l’honneur de vous annoncer que le conseil municipal de Puteaux vient, pour la première fois, de décerner un prix de 750 Fr. à la jeune ouvrière pauvre la plus méritante de la commune. Cette récompense doit être remise, en séance solennelle et publique, le dimanche 18 octobre, à deux heures. M. Laboulay (de l’institut), Député de la Seine, a bien voulu se charger du discours d’ouverture. Je viens vous prier, Monsieur, de nous faire l’honneur d’assister à cette fête municipale.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée.
Le Maire de Puteaux,
P. BLANCHE

Voici quelques renseignements sommaires sur cette fondation charitable :
Par testament, en date du 6 décembre 1870, Mme jeanne Cartault a légué à la commune de Puteaux une somme de 15 000 francs, dont les intérêts doivent servir chaque année à doter l’ouvrière pauvre la plus méritante. Ce don est fait sous le nom de Fondation Cartault. La dotation ne sera acquise que par l’acte de mariage, et le receveur en versera le montant le jour même, en présence de l’officier de l’état civil. Le mariage aura lieu, autant que possible, le 17 janvier, anniversaire du mariage de Mme Cartault Le premier-né de ce mariage portera, si c’est un garçon, le prénom d’Edmond, qui était celui de M. Cartault, et de Jeanne, si c’est une fille, qui est le prénom de la donatrice (conditions du testament).

N° 04314 du dimanche 18 octobre 1874 : Fête des environs de Paris

Puteaux.
A deux heures, couronnement de la première Rosière de Puteaux.
Après un discours de M. Laboulay, membre de l’Institut, un prix de 750 fr., fondé par Mme Cartault, sera décerné à titre de dot, à l’ouvrière pauvre la plus méritante de la commune. Chacune, des cinq jeunes filles admises au concours recevra une médaille d’honneur. Cette intéressante fête sera publique et entourée d’une véritable solennité. Musique exécutée par la Société philarmonique et la fanfare. Grand bal-concert.

N° 04317 du mercredi 21 octobre 1874 : La première rosière de Puteaux

Jamais cette petite ville n’avait réuni autant de monde due dimanche dernier. Le soleil lui-même avait voulu embellir cette journée, et brillait de tout son éclat. C’est que l’on couronnait une rosière pour la première fois.
M. A. Blanche, maire de Puteaux, présidait la cérémonie de la Fondation Cartault, du nom du bienfaiteur et de la bienfaitrice qui ont légué à la commune une somme de 15 000 Fr. pour que les intérêts soient servis chaque année à la jeune fille la plus méritante et la plus honnête du pays, c’est Mlle. Eugénie Pouillat qui, sur six concurrentes, a été acclamée par le vote de la commune entière.
La tente Willis, décorée avec goût, réunissait devant une foule compacte le conseil municipal, MM. les maires de Puteaux, de Nanterre et Suresnes, plusieurs notabilités de la ville, et M de Laboulaye, député de la Seine et membre de l’institut.
La séance commence. C’est d’abord une symphonie exécutée par la Société Philarmonique à la quelle succèdent entre-temps les fanfares de Puteaux.
M. le maire se lève, et du haut de l’estrade d’honneur, rappelle aux assistants le legs des donateurs eu les clauses du testament.
Puis la marraine, madame Héméry couronne la jeune élue d’une couronne blanche, et lui remet un brevet d’honneur, et une médaille d’or commémorative.
A ce moment, M. Laboulaye se lève et improvise un discours au milieu du plus profond silence.
Jamais son éloquence ne fut si étincelante d’esprit, de morale paternelle, de saillies pleines de verves et de raison. Il nous est impossible de traduire les expressions heureuses de cette improvisation, d’où la politique était exclue et d’où la morale resplendissait.
« Dans cette fête toute laïque, disait-il, vous donnez une leçon d’honneur à la jeune génération futur, car l’enfant en regardant la médaille qu’a jadis obtenu sa mère, voudra l’obtenir plus tard à son tour. C’est pour ainsi dire un prix Montyon que vous décernez au mérite, à la vertu, au dévouement, et Puteaux, dans sa sphère minime, équilibre, par son vote d’Académie française tout entière.
Ce n’est plus aujourd’hui un suffrage étriqué de politique que vous avez accompli, mais un suffrage de moralité accompli par de vrais amis, des dames et des messieurs, heureux de désigner au conseil, une rosière laïque digne de cette récompense.
Et ne croyez pas que les jeunes filles ne briguent cet honneur que pour obtenir une minime somme qui serait bientôt disparu dans les soins d’un ménage, ou les secours à de pauvres et vieux parents. Non, elles seront plus fières du brevet d’honneur qu’on leur a décerné et de la considération dont elles jouissent dans le pays qui les a vues naître.
Agrandissez donc vos écoles, profitez des leçons que l’on y donne, et surtout de cette leçon d’aujourd’hui proclamée devant toute la ville assemblée. Mettez à la caisse d’épargne, économisez pour l’avenir, faites des hommes ! »

Après cette improvisation, dont nous ne pouvons citer que quelques traits, M. Laboulaye, au milieu des applaudissements chaleureux de l’assemblée encore sous le charme de ses paroles, a remercié le conseil de lui avoir permis d’assister à cette fête de famille, puis quand les cinq jeunes filles concurrentes ont eu reçu chacune une médaille d’argent, une quête au profit des pauvres a eu lieu dans la salle même, et a dû être productive. Les fanfares ont annoncé la fin de cette intéressante et touchante cérémonie.
Marc CONSTANTIN