Patrimoine

Le legs Cartault : la fondation de la Rosière de Puteaux par Lise-Marie Chanel, Alain Dubrana et Dominique Valentin (1) - Le testament

Dans cette étude, nous nous appuyons principalement sur des documents consultés aux Archives Municipales de Puteaux.
Madame Cartault, à la demande de son époux décédé peu de temps auparavant, lègue dans son testament, en 1870, à la commune de Puteaux une somme importante, dans le but de doter tous les ans une ouvrière méritante, honnête, dans le cadre d'une fondation crée dans cette intention : la fondation Cartault.
Pour en savoir un peu plus : Biographie succincte du couple Cartault.
Une rue de Puteaux porte leur nom : la rue Cartault.

Testament

Lettre de Monsieur Cartault à son épouse

Monsieur Cartault demande, dans une lettre à son épouse, de rédiger un testament, le moment venu, conformément aux souhaits qu'il exprime dans ce courrier.

vignette testament Monsieur Cartault"Te connaissant comme moi-même, je vais m'endormir tranquille, sur les dernières volontés que je vais t'exprimer ici.
Je désire donc, et tu comprendras les motifs qui me dictent ce désir, que moi enseveli et sans perdre de temps tu ailles chez un notaire faire un testament dans lequel tu feras don pour un jour après ta mort de mille francs à l'administration de l'assistance publique de Paris à la charge par celle-ci de veiller à ce que le mausolée que tu nous feras ériger ne soit jamais bouleversé et l'entretien toujours en état parfait de conservation et cela à perpétuité.
Dans le cas où cette clause ne serait pas rigoureusement éxécutée, cette somme de mille francs reviendrait à la commune de Puteaux pour s'ajouter à celle de dix mille francs dont tu feras don à cette commune, afin que chaque année le revenu de cette somme soit affecté à doter une pauvre ouvrière qui se marierait mais reconnue la plus honnête ; qaunt au surplus, tu en disposeras comme tu l'entendras.
Adieu, chère enfant, je te remercie du bonheur que tu m'as donné sur cette terre, le seul que j'ai goûté ici-bas. Pardonne-moi les torts que j'ai pu avoir envers toi, comme je te pardonne les tiens.
Edmond Cartault.
23 février 1970."

Transcription du testament de Madame Cartault

Madame Cartault rédige donc son testament conformément aux voeux de son époux.

Vignette testament Madame Cartault"Ceci est mon testament :
Je soussignée, Jeanne Augustine Anastasie Rousseau, veuve de Pierre François Edmond Cartault, demeurant à Puteaux, voulant exécuter la volonté de mon cher mari et de moi, ai fait les dispositions suivantes :
Premièrement :
Je donne et lègue à l'administration de l'assistance publique de Paris une somme de dix mille francs qui lui sera comptée dans les six mois de mon décès, sans intérêt.
Ce legs lui est fait pour servir au soulagement des pauvres de la ville de Paris et faciliter l'admission dans ses établissements hospitaliers, non seulement des personnes nécessiteuses de la ville de Paris même, de celles du département de la Seine en général, et à la charge pour elle d'entretenir avec soin le tombeau que j'ai fait élever dans le cimetière de la commune de Puteaux pour la sépulture de mon digne mari et de faire toutes les réparations, le reconstruire même au besoin si par la suite des temps la concession à perpétuité devait être renouvelée, faire ce renouvellement à ses frais, faire même tous les transports si ultérieurement le cimetière subissait une translation. En un mot faire tout ce qui sera utile et nécessaire pour que toujours les restes de mon mari et de moi reposent ensemble dans un monument funèbre dans le cimetière de Puteaux.
La seule inscription que je désire est celle-ci :
Edmond Cartault et Jeanne Rousseau
Le monument doit être entretenu par l'assistance publique de Paris. Pour faciliter l'entretien que j'impose à cette administration, elle devra payer annuellement au gardien du cimetière de Puteaux une somme de douze francs, moyennement quoi ce dernier sera tenu du menu entretien dont je parle.
A défaut par l'administration de l'assistance  publique d'exécuter toutes les conditions ci-dessus ou l'une d'elles, ce legs dont il s'agit ferait retour au bureau de bienfaisance de Puteaux (Seine) aux mêmes charges et conditions. Il en serait de même si l'administration de l'assistance publique ne l'acceptait pas ou n'était pas autorisé à l'accepter.
Secondement :
Je donne et lègue à la commune de Puteaux (Seine) une somme de quinze mille francs qui devra lui être payé dans les six mois de mon décès avec l’intérêt de cinq pour cent l'an de cette dernière époque. Ce capital sera placé en rente sur l'état Français à trois pour cent et les intérêts annuels serviront à doter chaque année une pauvre ouvrière honnête et digne d’intérêt habitant la commune de Puteaux.
Le choix sera fait par le conseil municipal de cette commune par une élection prise dans la forme des décisions ressortissant du pouvoir de ce conseil et à la majorité. La délibération sera souveraine, aucun de ses méritant ne pourra en appeler.
La dot sera comptée à la personne, à la mairie, publiquement par le receveur municipal de la commune, en présence de l'officier municipal qui aura procédé à la célébration du mariage et aussitôt cette célébration terminée. Je désire que ce mariage  soit célébré autant que possible le 17 janvier, anniversaire de celui de mon cher mari et de moi. Si Dieu donne des enfants à ces unions que je souhaite être heureuses, j'exprime le vœu que le premier né ait le prénom Edmond qui était celui de mon mari si c'est un garçon et celui de Jeanne qui est le mien si c'est une fille.
Ce legs prendra le nom de Fondation Cartault.
Troisièmement :
Les droits de mutations de toute nature seront supportés par ma succession et tous les autres frais se rattachant au legs qui précède.
Fait à Puteaux le vingt huit mars mil huit cent soixante dix.
Signé Jeanne Rousseau veuve Cartault.
Enregistré à Paris le dix neuf décembre mil huit cent soixante dix, folio 14."

Contestation du testament

Le Conseil Municipal accepta le legs pendant la commune 1871, le testament fut contesté par les héritiers, le temps de régler les différents,...

Arrêté préfectoral

Enfin, par arrêté préfectoral en date du 22 mai 1874, la commune de Puteaux fut autorisée à accepter ce legs.

Vignette Arrêté préfectoral



"Arrêté préfectoral
autorisant l’acceptation du legs Cartault

Le préfet de la Seine
  • Vu le testament olographe, en date du 28 mars 1870, par lequel la De Augustine Anastasie Rousseau, Vve Cartault, a légué à la commune de Puteaux, une somme de 15000 francs à la charge par cette dernière de consacrer les intérêts de cette somme, à doter chaque année une pauvre ouvrière honnête et digne d’intérêt, habitant la commune de Puteaux,
  • Vu la copie de l’acte de décès de la testatrice en date du 4 décembre 1870,
  • Vu la copie de l’acte de décès de Sr Cartault, son mari, en date du 14 mars 1870,
  • Vu la le certificat dressé par Mr Fermé, notaire à Suresnes et  constatant l’actif de la succession,
  • Vu les délibérations du Conseil Municipal de Puteaux en date des 31 mars 1871, 10 Mars 1873 et 18 avril 1874, portant qu’il y a lieu d’accepter la libéralité faite à la Commune par la De Cartault,
  • Vu le budget de la commune de Puteaux ; ensemble un état de sa situation financière,
  • Vu les exploits de M. Durand, huissier à Paris, en date du 18 avril 1872 et de M. Millot, huissier à Provins, en date du 23 avril suivant, par lesquels les héritiers de la dite dame ont été mis en demeure de consentir à la délivrance du legs,
  • Vu les renseignements produits sur la situation de ses héritiers,
  • Vu l’avis du Sous-Préfet de Saint Denis en date du 1er mai 1874,
  • Vu la loi du 18 juillet 1837, le décret du 25 mars 1852, Tableau 4 et 42, et la loi du 24 juillet 1867 Art : 1er
  • Considérant que le legs fait à la commune par la De Veuve Cartault est avantageux et les que conditions ne sont pas onéreuses,
  • Considérant  que la dite dame n’a pas laissé d’héritiers à réserve,
  • Considérant que la présente libéralité n’a donné lieu à aucune réservation de la part de la famille :
Arrêté:
La commune de Puteaux est autorisée à accepter le legs de 15000 francs à elle fait par la 
De Veuve Cartault, à la charge à se conformer aux clauses et conditions exprimées dans l’acte testamentaire sus visé.
Ampliation du présent arrêté sera adressé à
Mr le Sous-Préfet de St Denis
Paris le 22 mais 1874 Signé : Ferdinand Duval
Pour ampliation :
Le Secrétaire Général de la Préfecture
Signé : E. Tambour
Pour copie conforme :
Le Sous-Préfet de St Denis
? Sébastiani »



Le conseil municipal, dans sa séance le 25 juin 1874, pour respecter au mieux les voeux de la testatrice, adopta onze résolutions. Ces résolutions définissaient les modalités de par ticipation et d'élection aux concours de la rosière de Puteaux.

Election de la première rosière en 1874

La première rosière de Puteaux ne fut élue qu'en 1874. Cette première élection n'échappa pas à certains journalistes de l'époque, qui y allèrent de leurs différents commentaires, parfois bien ironiques...

Pour exemple :
  • L'univers illustré de Paris » du 24 octobre 1874 :
Article journal
  • Compte rendu du journal “Le figaro” du 20 octobre 1874 :
Article journal "Une rosiére civile.
Nous avions les mariages civils.
Nous avions les enterrements civils.
La rosiére civile manquait à la collection de la république.
C'est à la commune de Puteaux que revient la gloire d'avoir créé cette variété. Liberté, Egalité, Fraternité! La commune de Puteaux a bien mérité de la République. Vous allez voir :
Hier avait eu lieu le couronnement de la premiére rosiére de cette commune conformément aux derniéres volontés d'une riche propriétaire de l'endroit, madame Cartault, qui a affecté une somme de quinze mille francs à la fondation d'un prix de vertu annuel de sept cent cinquante francs. D'aprés le désir de la testatrice, la jeune fille qui reçoit ce prix doit se marier le 17 janvier suivant, anniversaire du mariage de Mme Cartault.
Quel n'a pas été mon étonnement en arrivant hier à Puteaux, lorsque j'ai appris qu'aucun service religieux ne précédait ni ne suivait la cérémonie. Il faut vous dire qu'à Puteaux il y a beaucoup de purs, lesquels ne plaisantent pas sur l'article calotin. Aussi le prix de vertu a-t-il été décerné sans le concours de la religion, dont la premiére mission est d'encourager la vertu.
Je dois déclarer qu'à cela prés, tout s'est du reste assez bien passé. Une immense tente avait été érigée à côté de la mairie et décorée d'oriflammes de toutes formes et de toutes les couleurs; il y en avait des verts,des jaunes, des bleus, des blancs, il y en avait qui portaient des croissants comme les étendards du sultant ABDUL-AZIS, il y en avait qui portaient des aigles......
O républicains de Puteaux, comment ne vous êtes vous pas aperçus de cela. Sur une estrade resplendissait le conseil municipal et M Laboulaye, le vrai M Laboulaye, le M Laboulaye de l'encrier. Au bas de l'estrade était assise la rosiére, Mlle Eugénie BOUILLAND, une jeune fille de ving quatre ans, pâle, point laide, et des plus interessantes. Depuis dix ans, en effer, elle soutient par son travail ses grands parents, deux pauvres vieillards qui n'ont aucune espéce de ressources. Son pére s'est tué en voulant retirer un homme qui était tombé dans un puits.
La séance a été ouverte par un morceau de musique admirablement exécuté par la fanfare et l'orphéon de l'endroit. Puis monsieur le maire de Puteaux a prononcé un discours dont je déclare, en mettant un crêpe à ma plume, n'avoir pas entendu grand chose.
M Laboulaye s'est ensuite levé, aprés avoir déclaré aux personnes qui étaient là, qu'il allait improviser et qu'il n'avait pas de notes. Pour ce qu'il a dit, il aurait aussi bien fait d'en avoir, des notes! Aux jeunes filles et aux dames qui étaient fort nombreuses dans l'auditoire il a parlé de la question sociale. Rien d'amusant comme de voir les figures ébaudies des jeunes paysannes qui l'écoutaient sans comprendre. En entendant ce mot fréquemment répété de question sociale, elles se demandaient évidemment ce que c'était et si ça allait sur l'eau.
Un incident des plus comiques a embelli la fin du discours. Comme M Laboulaye achevait sa péroraison au milieu d'applaudissements flatteurs, voici que tout à coup un pochard se léve tout au fond de l'auditoire, et se met à dire d'une voix enrouée, mais énergique:
- On vient d'me dire qu'il a pris autrefois un encrier.....faut qu'il rende l'encrier.
Et comme on le regardait avec une certaine stupéfaction en cherchant à le faire taire: - Moi, reprend-il, je suis honnête, et si j'avais un encrier qui ne soit pas à moi, je le rendrais tout de suite, d'autant plus que je ne sais pas écrire...D'ailleurs y faut que tout le monde soit vertueux aujourd'hui, et y rendra son encrier...Rendez l'encrier! On a eu toutes les peines du monde à le faire sortir cet individu que M Laboulaye n'a heureusement pas entendu.
La cérémonie terminée, et la rosiére couronnée, on a inscrit son nom sur le livre d'or des rosiéres de Puteaux, qu'elle étrennait. Ce livre porte sur la couverture: République française. La citoyenne Eugénie BOUILLAND y a apposé sa signature d'une main un peu émue.
En résumé, la municipalité a bien fait les choses, la rosiére est trés méritante, mais pourquoi écarter la religion d'une cérémonie comme celle-là, et remplacer Dieu par M Laboulaye, (Rendez l'encrier!)."

Mais vous avez dit rosière... ?

Définition et Historique

Le dictionnaire donne comme définition :
Jeune fille vertueuse à laquelle on décernait solennellement une couronne de roses accompagnée d'une récompense.

« On attribue à Saint Médard, évêque de Noyon, qui vivait sous Clovis, l'institution de la fête de la rose. Cet évêque, qui était seigneur de Salency, donnait tous les ans 25 livres etune couronne de roses à celle des filles qui jouissait de la plus grande réputation de vertu. Le premier prix fut décerné à une de ses soeurs, Médrina ».
En principe, cette cérémonie se déroulait en juin autours de Pentecôte.
(Extrait de l'ouvrage paru en 1821 - Voyages autours de Paris)

Napoléon 1er, lors de son mariage avec Marie Louise d 'Autriche, fit en sorte que 6000 de ses soldats se marient avec ces jeunes filles.

Les rosières de Puteaux